Devant la multitude des arts martiaux asiatiques que nous connaissons aujourd’hui, nous avons voulu présenter les racines de celui que nous pratiquons en résumant par l’histoire des arts martiaux vietnamiens (võ) qui est intimement liée à l’histoire du pays lui-même.
Les arts martiaux vietnamiens en France
Le võ en France
Au cours des deux guerres mondiales, de nombreux maîtres de võ sont venus en France en tant que soldats des colonies et certains s’y sont installés. Plus récemment, les conflits d’Indochine et du Vietnam ont provoqué une diaspora vietnamienne et, du fait des liens entre la France et le Vietnam, le võ a commencé à s’implanter dans notre pays. Il est impossible de savoir de quand date l’introduction des arts martiaux vietnamiens car certaines écoles sont restées secrètes mais, parmi les précurseurs de l’ouverture au public dès le début des années 50, on compte Nguyễn Đức Mộc (Sơn long quyền thuật-Võ Việt Nam), Hoàng Nam (Wutao) et Nguyễn Dân Phú (Thanh Long).
La fédération de Việt võ đạo
Maître Nguyễn Dân Phú est contacté en 1973 par Maître Phan Hoang qui a le projet de créer un fédération pour regrouper les arts martiaux vietnamiens indépendamment de la fédération de Judo, seule structure officielle d’art martiaux à l’époque. Le nom choisi est « Fédération française de Việt võ đạo » (F.F.V.V.D.), avec l’aval du patriarche du Vovinam, maître Lê Sáng, car le nom « Việt võ đạo » ne se rapporte jusqu’alors qu’au mouvement fondé au Vietnam par Nguyễn Lộc.
Maitres fondateurs de la Fédération française de Việt võ đạo

Les maîtres fondateurs de cette première tentative de rassemblement des écoles de võ sont (dans l’ordre de la photo) Phạm Xuân Tòng, Nguyễn Trung Hòa, Hoàng Nam, Nguyễn Dân Phú, Bùi Văn Thịnh, Phan Hoàng, Tasteyre Trần Phước et Trần Minh Long (pas sur la photo). Leur salut est « la main d’acier sur le cœur de bonté », leur symbole le bambou et leur devise « être fort pour être utile ».
L’après F.F.V.V.D.
La F.F.V.V.D. reçoit l’agrément ministériel en 1978 et le conserve jusqu’en 1987. S’ensuit une période de flou sur la situation administrative et juridique des arts martiaux vietnamiens et une multiplication des fédérations à tel point que maître Lê Sáng a lancé un appel en 1998 pour que le nom Việt võ đạo ne soit utilisé que pour désigner le Vovinam.
Depuis le début de la saison 2007-2008, le ministère se tourne vers la Fédération française de karaté et disciplines associées (F.F.K.D.A.) pour accueillir et chapeauter les arts martiaux vietnamiens en France. Cette volonté se concrétise par l’attribution de la délégation correspondante le 15 décembre 2008.
Maître Nguyễn Dân Phú

Maître Nguyễn Dân Phú naît en 1911 dans la maison de ses ancêtres à Đa Ngưu, un village à 30 kilomètres de Hà Nội mais passe toute la première partie de sa vie dans un environnement aisé à Hà Nội, où sa famille s’est installée depuis longtemps. Sa mère s’occupe du commerce de luxe du thé au lotus et son père est ingénieur des mines et de l’industrie.
Un jour que ce dernier reçoit des amis, il appelle le jeune Phú pour lui présenter Cự Tốn, un maître de võ très renommé et lié à la famille impériale, qui lui donne immédiatement sa première leçon. C’est le début d’une passion pour les arts martiaux que son père décide d’encourager. Il demande à ses amis experts qui lui rendent visite d’enseigner leur art à son fils et fait venir des maîtres réputés de tout le pays. Nguyễn Dân Phú aborde alors de nombreux styles du nord du Vietnam en majorité chinois (Thiếu Lâm) comme le La Hán Quyền (« boxes des 羅漢 luóhàn [1] »), le Mai hoa Quyền (« boxe de la fleur de prunier ») ou le Liên Hoa Quyển (« boxe de la fleur de lotus »). Son dernier maître, Nguyễn Hoa, a été l’élève de Ba Cát, un des plus célèbres maîtres de la fin du XIXe siècle au Vietnam. Lui et Cự Tốn, son premier maître, furent probablement les plus importants à ses yeux car ils personnifièrent les deux courants principaux des arts martiaux dans le pays, le Thiếu Lâm et le võ traditionnel vietnamien (Bình Định par exemple).
Durant toute cette période, Nguyễn Dân Phú vit une jeunesse dorée partagée entre l’entraînement et ses amis, avec qui il participera à de nombreux combats entre pratiquants de võ ou pour défendre l’honneur des jeunes filles de son quartier. Il acquiert ainsi une réputation d’excellent combattant à Hà Nội.

En 1940, il s’embarque pour la France en tant qu’interprète pour les contingents d’ouvriers que le gouvernement français fait venir d’Indochine pour travailler dans ses usines d’armement. Après la guerre, il s’installe à Montluçon et ouvre une boutique de photographie. Il n’enseigne les arts martiaux qu’occasionnellement jusqu’à ce que ses fils manifestent un intérêt pour le karaté, qui commence à émerger. À la fin des année 50, il crée donc une première école qu’il nomme Mai hoa Quyền, dans laquelle sont abordées essentiellement les durcissements, les positions et les applications des techniques de combat. Elle ne compte au départ que quelques élèves en plus des huit fils du maître.
Au fur et à mesure, Nguyễn Dân Phú intègre à son enseignement des quyền, des leçons et l’étude des armes, codifiant et enrichissant ce qu’il a appris dans sa jeunesse. L’école prend finalement le nom de « Thanh Long », que nous connaissons aujourd’hui, d’après le surnom du maître : Đại Việt Thanh Long (« l’invincible dragon vert »).
Le style Thanh Long se fait peu à peu connaître et se développe car les fils du maître ouvrent plusieurs salles dans d’autres villes. Maître Phú participe en 1973 à la création de la première fédération d’arts martiaux vietnamiens, la F.F.V.V.D., qui obtient l’agrément ministériel en 1978 en vue de rassembler et représenter les arts martiaux vietnamiens. En 1979, il confie la salle de Montluçon à l’un de ses fils et n’enseigne plus qu’aux ceintures vertes et pendant les stages. Malgré les problèmes que connaît la F.F.V.V.D., l’école s’agrandit et compte de plus en plus de salles jusqu’en 1991, date à laquelle elle se scinde en trois branches dirigées par trois de ses fils : le Thanh Long Đông Hải de Serge, le Thanh Long Trường Sơn de Gérard et le Thanh Long Sơn Hải de Michel.
Nguyễn Dân Phú est invité par les trois écoles en tant que patriarche du style Thanh Long et continue d’enseigner aux ceintures vertes. Jusqu’à sa disparition le 28 juin 1999, il n’aura cessé d’enrichir le style qu’il a créé et de transmettre sa passion pour les arts martiaux.
Source: André Gazur, Nguyễn Dân Phú, sa vie, son œuvre.
Le võ
Le terme võ est le plus général pour désigner les arts martiaux vietnamiens. Il provient de võ thuật, lecture sino-vietnamienne de l’expression chinoise 武術 wǔshù (bujutsu japonais), qui signifie « art de la guerre » ou plus précisément « art d’arrêter la lance ».
Le Vietnam possède une tradition martiale plusieurs fois millénaire qui s’est développée et enrichie dans le contexte d’une histoire faite d’invasions, de résistances et d’échanges du fait de sa situation géographie stratégique, au croisement de diverses routes commerciales.
L’histoire vietnamienne étant très riche, ce qui suit n’est qu’une modeste introduction en vue de présenter les étapes importantes dans la formation du võ tel qu’on le connaît aujourd’hui. Par souci de simplicité, nous avons exclusivement utilisé le terme « Vietnam » bien que le pays ne se soit appelé ainsi que depuis le XIXe siècle et qu’il ait porté divers noms tels que Âu Lạc, Nam Việt ou encore Đại Cồ Việt.
Grandes étapes de l’histoire du Vietnam et de la formation du võ
- L’Antiquité (2879 à 111 av. J.-C.) ;
- La domination chinoise (111 av. J.-C. à 938 ap. J.-C.) ;
- Les grandes dynasties nationales et le développement du võ (939-1862) ;
- Dynastie des Nguyễn et colonisation française : interdictions de la pratique du võ.
De nos jours au Vietnam, ce sont les termes võ cổ truyền ou võ thuật cổ truyền qui sont utilisés pour désigner le võ. La grande majorité des arts martiaux de toute origine est regroupée dans le Liên đoàn võ thuật cổ truyền Việt Nam, excepté le Vovinam Việt võ đạo, qui s’est doté en 2006 d’une fédération indépendante.
Le võ constitue un des trésors de la culture du Vietnam et s’est forgé dans le contexte d’une histoire très riche. Il est l’œuvre de tout un peuple, des écoles familiales aux académies militaires, des styles Thiếu Lâm d’origine chinoise aux arts martiaux régionaux tels le võ thuật Bình Định. Fort heureusement pour nous, l’arrivée de maîtres en France nous a permis de découvrir la richesse infinie de cet art.
Sources:
- Histoire du Vietnam (liens morts) ;
- site de l’école Bát Môn Quyền ;
- héros du Vietnam.
L’Antiquité (2879 à 111 av. J.-C.)
La découverte de peintures murales dans des grottes du Nord-Vietnam, d’objets décorés de scènes guerrières et d’armes (sabres, haches, arcs, etc) témoignent de l’existence de techniques martiales dès la période qui s’étend de 2879 à 111 av. J.-C.
Cette époque est appelée « semi-légendaire » car elle regroupe diverses mythes fondateurs de l’identité vietnamienne, tels la naissances des cent fils du roi dragon Lạc Long et de l’immortelle Âu Cơ à l’origine du peuple Việt, ou l’épisode de la prise de la citadelle en spirale de Cổ Loa (ou Loa Thành), réputée inexpugnable, à laquelle se réfère le Loa thành quyền de notre école.
La domination chinoise (111 av. J.-C. à 938 ap. J.-C.)
La période de près d’un millénaire qui suit est marquée par la domination de la Chine sur le Vietnam, malgré quelques soulèvements, comme celui des sœurs Trưng et l’existence de quelques dynasties opposées à l’envahisseur, telles les Lý ou les Triệu.
Les Chinois vont s’implanter profondément dans le pays et en modeler les structures sociales, administratives et militaires ainsi qu’en influencer fortement la culture. Les philosophies taoïste, confucianiste et bouddhiste, notamment la doctrine 禪 chán du moine Bodhidharma, s’intègrent à la vie des Vietnamiens et les arts martiaux chinois donnent naissance aux premières écoles Thiếu Lâm (vietnamien pour 少林 Shàolín). Ce terme désigne aujourd’hui les écoles d’ascendance chinoise, qu’elles aient ou pas un rapport avec Shàolín. Tout au long de l’histoire, des maîtres chinois s’installeront au Vietnam et des maîtres vietnamiens iront étudier en Chine, nourrissant le Thiếu Lâm, qui est un des courants les plus important du võ.
C’est également à cette époque que se forment les principes de base du võ :
- supériorité des techniques rapprochées : dĩ đoản thắng trường ;
- la souplesse contre la force : dĩ nhu chế cương ;
- principe des surprises : kỷ tập chiến pháp ;
- le secret des illusions : ảo ảnh bí pháp ;
- esquives sans résistance : phản gựt pháp.
Ce sont ces principes qui permirent aux soldats vietnamiens de résister à des ennemis plus nombreux, mieux armés et souvent plus grands et de remporter des victoires décisives contre les Chinois et les forces mongoles des successeurs de Gengis Khan.
Les grandes dynasties nationales et le développement du võ (939-1802)
La domination chinoise prend fin en 939 par la bataille du Bạch Đằng. Ngô Quyền chasse les Chinois et fonde la première dynastie nationale. C’est une période de relative unité, marquée par une volonté d’expansion et une organisation de plus en plus complexe de la société et de l’armée.
En ces temps de stabilité, le võ se développe sous l’impulsion de rois maîtres en arts martiaux et, s’enrichissant des philosophies taoïste, bouddhiste et confucianistes, devient un art de vie visant à l’élévation spirituelle.
De grandes étapes marquent ce développement et la profonde intégration des arts martiaux à la culture vietnamienne.
Quelques décennies après l’indépendance, le fondateur de la dynastie des Đinh, Đinh Tiên Hoàng, organise l’armée de manière moderne en instaurant un corps très important de réservistes, système qui subsistera jusqu’au XIXe siècle. En effet, l’armée effectivement en service compte environ 120 000 hommes mais le nombre de soldats inscrits sur les registres est d’environ un million. Les réservistes exercent par ailleurs un autre métier ; ils sont par exemple cultivateurs ou artisans et le võ est ainsi présent dans tous les villages. Cette organisation causera bien des problèmes aux divers envahisseurs qui rencontreront une résistance inattendue de ces soldats-paysans.
Au sommet de l’état vietnamien, l’art martial prend une importance inédite. Sous la dynasties des Lý (1010-1225), tous les officiels, mandarins et fonctionnaires, ainsi que les hommes et les dames de la cour se doivent de pratiquer le võ. La dynastie Trần (1225-1400) instaure les giảng võ đường (« académies d’arts martiaux »), qui délivrent les grades de licenciés et docteurs en arts martiaux nécessaires pour accéder aux fonctions militaires élevées. Le général Trần Hưng Đạo, devenu célèbre par sa victoire sur les Mongols, est l’auteur de traités fondamentaux sur l’art martial vietnamien.
S’ensuit une époque de troubles avec une nouvelle domination des Chinois de la dynastie 明 Míng, qui se sont insinués dans les affaires nationales avant de prendre le contrôle du pays. De nombreux maîtres de võ sont assassinés et de nombreux ouvrages détruits. Après une lutte de dix ans, Lê Lợi, considéré depuis lors comme un héros national, les chasse du Vietnam à partir de Lam Sơn et fonde en 1428 une dynastie à l’origine d’une organisation militaire, administrative et judiciaire très poussée (code des Lê) et d’une montée en puissance des lettrés dans la société. Un exemple de cette organisation est l’existence dans l’armée d’un système de cinq tours de service dans lequel les soldats alternaient entre leurs devoirs militaires et leurs occupations professionnelles, ce qui permettait d’avoir des troupes toujours entraînées et mobilisables rapidement. Un école de võ, créée en 1945 sous le joug colonial français, porte le nom de Lam Sơn võ đạo, en l’honneur de Lê Lợi et de son action de résistance.
Dès la fin du XVIe siècle et jusqu’à la fin du XVIIIe, le pays est divisé en deux par une rivalité entre le clan Trịnh au nord et Nguyễn au sud. Cette guerre civile met le Vietnam à feu et à sang et trois frères originaires de la région de Tây Sơn (de la province de Bình Định), Nguyễn Huệ, Nguyễn Nhạc et Nguyễn Lữ, décident de mener une insurrection, appelée par la suite la révolte des Tây Sơn, pour restaurer l’unité nationale. Ils reprennent peu à peu le contrôle de tout le territoire et Nguyễn Huệ devient l’empereur Quang Trung en 1788 après avoir défait les troupes chinoises des 清 Qīng venue prêter main forte au dernier souverain Lê.
Quang Trung, lui aussi un des grands héros du Vietnam, rendit célèbre un des grands courants du võ, le Bình Định, nommé d’après sa région d’origine. C’est en effet à partir de cette famille d’arts martiaux qu’il élabora l’art martial officiel enseigné dans les académies militaires. Le programme et le déroulement des concours qu’il instaura se trouve décrit très en détail dans plusieurs ouvrages d’époques et des thèses contemporaines écrites sur le sujet. On y apprend notamment que le candidat doit passer de nombreuses épreuves en un seul jour : démonstration du maniement des dix-huit armes traditionnelles, cinq combats à mains nues, cinq avec une arme imposée et cinq avec une arme choisie contre des gardes royaux, épreuves théoriques sur un sujet portant sur la stratégie militaire, les armes ou encore les grands généraux du passé. Ces concours étaient d’un niveau élevé car, par exemple, l’exécution manquée d’une seule des armes était éliminatoire et le candidat devait remporter au moins trois combats par catégorie contre des soldats qui risquaient une suppression temporaire de solde s’ils étaient vaincus.
De cette époque datent des quyền traditionnels qui sont encore transmis de nos jours, tels le Lão mai quyền (« quyền du vieux prunier ») et il existe plusieurs écoles dont le nom contient les termes « Tây Sơn » ou « Bình Định » en souvenir de cet héritage.
Dynastie des Nguyễn et colonisation française : interdictions de la pratique (1802-1945)
Après la mort prématurée de Quang Trung en 1792, ses frères, rois du sud et du centre du Vietnam, prennent sa suite mais le descendant des seigneurs Nguyễn, Nguyễn Ánh, les dépossède du pouvoir en 1802 avec l’aide des Français et se proclame empereur sous le nom de Gia Long.
Dans la région de Bình Định sont promulguées des lois interdisant la pratique des arts martiaux et dans tout le pays le võ, confronté aux armes modernes, tombe peu à peu en désuétude. Ce phénomène est renforcé par le mode de vie de la société industrialisée apporté par les Français, qui s’immiscent de plus en plus dans les affaires nationales jusqu’à transformer la Cochinchine (province du sud) en colonie et le Tonkin (nord) et l’Annam (centre) en protectorats, mettant fin à l’indépendance du Vietnam. Le võ est alors frappé d’interdiction totale pour éviter toute insurrection mais beaucoup d’écoles continuent à enseigner en secret, participant ainsi à la résistance au colonialisme.
Vers les années 1940-1950 et la fin de la domination française, apparaissent des grands mouvements de rassemblement des écoles de võ dans toutes les provinces, tels que le Võ phái Bắc Hà, le Võ Bình Định, le Tinh võ hội ou le Võ phái Nam Bộ. Le Vovinam Việt võ đạo de Nguyễn Lộc se différencie quelque peu de ces structures car c’est au départ une école avant de devenir un mouvement destiné à regrouper tous les arts martiaux sous une même bannière dans un but de modernisation et un aspect plus sportif.
Saint bouddhiques ↩︎